JEAN-MARIE SERONIE 2

L'Odyssée paysanne vers 2041 
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Suite de nos entretiens avec Jean-Marie SERONIE. Après un premier entretien reposant notamment les voies de développement de nos agricultures, place à l'aval de la filière agricole, et au rôle des ingénieurs dans ces mutations à venir.

 

Par Emmanuel BANON, Président de l’AI ISA

AIISA : Quel pourrait-être le rôle de la grande distribution dans cette évolution ?

JMS : Les distributeurs, notamment grâce aux datas et à leur connaissance des consommateurs, anticipent de plus en plus leurs attentes. C’est exactement ce qui s’est passé avec les exigences autour des œufs de poules élevées en batteries. Les consommateurs n’en voulaient plus, et se tournaient vers le « bio » qui l’excluait de son cahier des charges. Les distributeurs ne proposent donc désormais quasiment plus que des œufs de plein air, alors qu’auparavant on ne les trouvait qu’en « bio ».

AIISA : Les consommateurs exigent aussi et surtout des prix bas, non ?

JMS : Oui bien sûr. Mais, dans le même temps, on constate que les Français achètent de moins en moins de matières premières alimentaires. Ils aiment de plus en plus consommer, comme les Américains, des produits transformés, ou les consommer au restaurant, dépenser plus pour des services comme Uber, ce qui ampute forcément leur budget alloué aux achats alimentaires en GMS. Mais pour l’heure, les acteurs de la GMS restent les meilleurs connaisseurs de l’évolution des comportements des consommateurs. Avec la précision des données dont ils disposent, ils s’adaptent quasiment en temps réel en traçant, analysant et en mesurant sans cesse les attentes de leurs clients.

AIISA : Dans ce contexte, quel avenir alors pour notre industrie agroalimentaire ?

JMS : Les Français doivent accepter de payer plus cher leur alimentation. D’abord parce qu’elle est beaucoup plus diversifiée que celle de nos voisins européens ou amis américains. Notre forte culture alimentaire - à laquelle on tient - nous pousse à avoir beaucoup plus de références que dans ces pays. Ce qui oblige les producteurs et les transformateurs à segmenter leur production en plus petites séries, et c’est donc moins rentable.

 

 

 

AIISA : Quel sera le rôle des ingénieurs agronomes dans les 20 ans à venir ? 

JMS : Dans la production agricole, l’ingénieur agronome reste essentiel. Mais le métier change. Par exemple, la recherche ne se fait plus seulement en laboratoire, mais sur le terrain, avec les agriculteurs. Par ailleurs, on n’est plus du tout dans la simple transmission de recettes, mais plutôt dans l’accompagnement. Les paysans, qui ont de plus en plus de diplômes et des niveaux d’études importants, ont désormais de plus en plus besoin d’être coachés dans les nouvelles pratiques, techniques, chimiques, ou comme des entrepreneurs du vivant.

AIISA : Quels accompagnements ou conseils les ingénieurs vont-ils pouvoir apporter aux agriculteurs ?

JMS : Moins on utilise le chimique, plus il est important de connaître le contexte environnemental pédoclimatique, de biodiversité de parasitisme local. L’agriculture va donc devoir s’adapter géographiquement de manière plus précise, et là encore l’ingénieur jouera un rôle de conseiller. Car l’intérêt de la formation des agronomes, c’est qu’ils connaissent le vivant, et sont aussi experts dans la réflexion systémique. C’est capital car, aujourd’hui, la réflexion agricole dépasse désormais le seul périmètre de l’exploitation. Enfin, ce qui change aussi, c’est le numérique, et il faudra travailler en combinant les données apportées par les ingénieurs avec celles en possession des agriculteurs sur le terrain.

AIISA : Que diriez-vous aux jeunes diplômés qui s’apprêtent à rentrer dans le métier ? 

JMS : Je dirais surtout à ceux qui s’intéressent à l’agriculture de commencer par un poste de terrain, proche de la production agricole, pour connaître les réalités du métier. Peu importe le salaire, car ils capitaliseront ensuite sur cette expérience. Mon second conseil, c’est de ne pas s’enfermer dans leur métier, leur expertise au risque d’avoir une seule vision, mais au contraire de toujours garder un pied à côté : entretenir son réseau, assister à des réunions professionnelles… Le dernier point, incontournable, c’est de garder l’esprit critique, qui est d’autant plus pertinent lorsqu’on connaît bien le terrain.

 

Février 2023