Sandrine Delory
ENTRETIEN AVEC... SANDRINE DELORY
Sandrine Delory est aujourd’hui vice-présidente du Réseau Alliances, qui fédère des acteurs économiques des Hauts de France pour améliorer leur impact social et environnemental et ainsi favoriser l’attractivité du territoire… Une femme ancrée dans sa région, pétrie de convictions et d'une foi inébranlable en « l’humain » que l'AIISA a souhaité rencontrer pour mieux comprendre les valeurs qui l'animent.
AIISA - En préambule, que doit-on savoir de Sandrine Delory? Parlez-nous de vous !
SD - J’ai 56 ans, je suis installée dans les Hauts de France où je suis née, et j’y travaille depuis 27 ans, dont 10 ans dans l’industrie pharmaceutique et près de 20 ans en agroalimentaire.
AIISA - Vous êtes à présent Vice-Présidente du Réseau Alliances. Pouvez-vous nous le présenter, et quels sont ses objectifs?
SD - Ce réseau a été fondé voici 30 ans par des patrons d’entreprises des Hauts de France. Il est bien implanté dans tous les secteurs d’activité de la région et connu à l’international. A l’origine essentiellement tourné vers le social, il a progressivement intégré l’environnement pour couvrir ses 3 pôles actuels : l’environnement, le sociétal et la gouvernance.
Il participe également à d’autres actions, à l’exemple de « Mouvement Impact France », dont la dernière rencontre s’est tenue fin août. Nous nous y sommes retrouvés avec bien d’autres structures, d’origines fort diverses. A titre d’exemple, autour de la table ronde que j’animais, se trouvaient l’Occitane (produits de beauté), le Fourgon (consigne), le cabinet Utopies, Enedis (structure nationale – inondations et incendies) !
AIISA - Qu’est ce qui vous a décidé à rejoindre cette structure ?
SD - J’ai intégré son Conseil d’administration voici quelques années, quand le réseau recherchait une personne dans le Pas de Calais qui soit sensible aux enjeux de la RSE. J’avais posé la condition que cela serve à la fois Alliances et l’entreprise dans laquelle je travaillais. Nous poursuivons depuis l’objectif de devenir la première région agro-décarbonée de France, en lien avec différents partenaires dont l’ADEME et Agrosphères.
AIISA : 1ère région décarbonée de France, quelle ambition…comment l’atteindre ?
SD - C’est une démarche longue : pour qu’elle porte ses fruits, elle doit être menée en y associant l’ensemble des filières, privées mais aussi publiques, ce qui est complexe car cela requiert de créer une synergie entre acteurs qui – habituellement - ne se rencontrent pas. Selon moi, cette synergie ne viendra pas tant de la technologie que de la volonté et des liens entre les personnes. Pour exemple, lors du « World Forum » de novembre 2024, plus de 120 structures étaient représentées.
AIISA - Quelle est votre définition de la RSE ?
SD - Je vais commencer par une évidence : La RSE doit être portée par la Gouvernance, elle doit être incarnée par elle, ce qui est une condition nécessaire mais pas suffisante. Ensuite, la finalité de la RSE, c’est de donner du sens à ce qui est fait par une entreprise. Il faut bien entendu dégager des profits, une rentabilité, mais il faut surtout que cela serve un dessein plus grand. C’est en ce sens que la RSE doit représenter à la fois « le cœur du réacteur », « l’âme de l’entreprise », ses racines et sa finalité.
Dit autrement : De la performance au service de quelque chose de grand, de motivant, qui a du sens, sur des enjeux dont la recette n’existe pas, et qui n’est pas reproductible d’une entreprise à l’autre. Le réussir, c’est à la fois exaltant et très compliqué. J’y vois une analogie avec le domaine sportif : lorsque l’on se prépare pour les JO, c’est très difficile, c’est exigeant, « on sort ses tripes » mais ça a un sens parce qu’on a un but à atteindre.
AIISA - Vous évoquez le sens. Dans une entreprise où plusieurs générations se côtoient, laquelle vous semble la plus sensible et attentive à cette quête ?
SD - Pour moi, ce n’est pas une question de génération mais de personnes. On peut chercher un sens à sa carrière à 56 ans comme lorsqu’on est plus jeune ! L’entreprise reste un lieu merveilleux où le collectif de travail est le bien le plus précieux, car l’Etat et l’Education ont perdu beaucoup de leur aura et de leur prestance, tandis que cela reste plus « cadré » dans l’entreprise, sur les plans formel et institutionnel.
AIISA - Vous semblez porter une attention particulière à la place de l’humain dans l’entreprise…
SD - En entreprise, et plus encore dans l’industrie, vous faites face à d’immenses défis. Les équipements que vous mettez en place sont conçus pour 50 ans ! Alors, pour le faire, il faut avoir foi dans l’avenir ! Mais le bien le plus précieux de l’entreprise reste l’humain : c’est ce qui permet de relever des défis qui n’ont jamais été imaginés dans les business plans. On peut toujours prendre un marché, copier un produit, mais miser sur l’humain, la proximité, les valeurs, ce sont les leviers les plus importants. Le dirigeant doit prendre le plus grand soin de cette force ; et qu’il soit ou non le fondateur, il lui faut bien connaître la culture de l’entreprise. Ces relations tissées au quotidien, bien au-delà des chiffres, c’est ce qu’il faut absolument préserver. Une entreprise, c’est avant tout une aventure humaine : si on s’y sent bien, quel que soit son poste, on peut y faire « des choses dingues », et cela doit le rester !...
AIISA - L’Ukraine, le Covid…qui eût imaginé ces épreuves voici 10 ans ?
SD - Voici une bonne illustration que, face à l’inconnu et à l’imprévisible, on doit tenir compte des atouts internes. Et les seuls que l’on maîtrise, ce sont les gens que l’on a avec soi : il faut donc les associer à un dessein qui ait du sens. C’est le bien le plus précieux de l’entreprise, et pourtant l’actif le moins bien protégé : on a des assurances pour une machine, un brevet pour une découverte, mais - pour l’humain - l’objectif consiste à maitriser l’accidentologie, c’est quand même peu !…
AIISA - Quel est le niveau de maturité des entreprises sur le sujet de la RSE? Où doit-on les attendre ?
SD - Tout le monde a compris qu’il s’est passé quelque chose avec le Covid. Cela a été un révélateur et un accélérateur d’un problème – jusque là sous-jacent - de recherche de sens, de relations humaines…Il existe beaucoup d’entreprises sans labellisation RSE qui pour autant y sont très attentives. Si le dialogue social est bon, qu’il existe du respect entre tous, qu’il n’y a pas d’arrêt de travail, pas d’alerte RPS (risques psycho-sociaux), ce sont des indicateurs que l’environnement de l’entreprise est sain. Un bon management, c’est du bon sens, de la confiance, de l’attention, de la reconnaissance envers chacun. Quelquefois, il vous suffit juste de traverser les bureaux : s’ils sont tous fermés, il y a un problème…et pourtant il n’existe aucun indicateur associé !...
AIISA - « Penser global, agir local : ancrer son entreprise dans son territoire » mentionniez-vous dans une intervention récente. Dans un contexte international toujours plus féroce, avec des règles commerciales biaisées, quel est l’intérêt de rappeler son ancrage territorial ?
SD - Quand on a quelque chose qui ne va pas, on en recherche les raisons, on a besoin de se raccrocher à ce que l’on connaît : une entreprise, on ne la pose pas n’importe où ! Il faut que son environnement soit bien connu du dirigeant, qu’il y habite. « On ne peut pas être hors sol dans sa région ! » De fait, les entreprises doivent connaître leur histoire, les dirigeants qu’elles ont eu, les crises qu’elles ont vécues, comment elles ont forgé leur résilience…
Plusieurs organismes tels qu’Ecovadis existent pour évaluer la maturité RSE d’une structure, vérifier par exemple l’engagement de ne pas faire travailler des mineurs, ce qui peut paraître déroutant pour une PME française, quitte à paraître « hors sol »… Qu’en pensez-vous ?
SD - L’axe stratégique RSE, s’il consiste seulement en de bonnes paroles et un affichage de façade, ce n’est pas crédible. La chance, avec la norme ISO, c’est qu’elle structure la démarche : Elle pose des questions qui peuvent ne pas présenter de sens localement. La France possède un salaire minimum, le congé maternité y existe… mais ce n’est pas le cas en Australie… Quand on « dezoome », nos évidences ne sont pas les mêmes ailleurs.
AIISA - Qu’attendez-vous des ingénieurs ? et des ingénieurs en agriculture ?
SD - J’ai travaillé avec un certain nombre d’ingénieurs ISA et j’en ai été très satisfaite ! C’est une excellente formation, et les entreprises ont des besoins énormes de tels ingénieurs, dans les filières agroalimentaires, agricoles, banques,...ce qui est très large car les sujets couverts par ces ingénieurs répondent à beaucoup de questions par leur méthodologie, leur cadre de référence de qualité.
AIISA - En matière de consommation responsable, quels enseignements tirer des dernières évolutions avec - dans la filière textile - Shein ou Temu qui vont à l’encontre de cette vague ? La consommation responsable ne serait-elle qu’un courant parmi d’autres ? Comment l’organiser dans le temps ?
SD - Nous sommes face à des défis colossaux de toutes sortes où tout le monde est en train d’apprendre. Plutôt que d’attaquer ces sujets de façon saucissonnée, il nous faut trouver des solutions durables, avec un management adapté, avec l’intelligence collective, et pas seulement dans une entreprise mais dans un territoire.
AIISA - Il y a remaniement ou dissolution. Vous êtes contactée pour un poste de ministre et on vous laisse le choix. Quel ‘maroquin’ choisiriez-vous?
SD - Sourire : Et vous, où me verriez-vous ?... Pour moi, il est important de voir les choses dans la durée. J’imagine que ce qui est difficile pour un ministre qui ignore quand prendra fin son CDD, c’est de connaître son véritable impact. Je pense que, quand on est aligné avec soi-même, avec les valeurs que l’on porte, on peut faire bien plus à l’échelle locale où se trouve l’unité d’action.
AIISA - Un Etat peut-il être considéré comme une structure RSE ? Avec une mission à définir ?
SD - On ne peut demander aux entreprises de tracer la feuille climatique sans le demander aussi aux Régions et à l’Etat ! Ensuite, c’est bien de tracer des routes, mais le faire à 5 ou même à 3 ans, c’est compliqué. Le véritable défi de la gouvernance, c’est dans la manière de prendre des décisions, parce que l’ESG, c’est un tout. La difficulté aujourd’hui, c’est que le mandat des politiques - même hors actualité - est très court. Comment voulez-vous donc que des plans conçus à court terme coïncident avec ceux des industriels qui mettent en place des outils pour 50 ans ? Encore une fois, il faut avoir la volonté de travailler au bien commun, avec des équipes qu’on connaît et qu’on aime, et en faire un challenge riche de sens pour tous…
Merci à vous, et bonne route avec Alliances !...
Octobre 2025 - propos recueillis par Emmanuel Banon
Article rédigé par Emmanuel Banon (ISA 2002 Promo 35) et Bernard Dervaux (ISA 1974-Promo 8)
