George Monbiot
"NOURRIR LE MONDE...
SANS DEVORER LA PLANETE" de
George MONBIOT
Ou une approche singulière de l'agriculture
Nourrir le monde sans dévorer la planète …est-ce bien le but recherché par George Monbiot, ou cela reste-t-il un moyen pour parvenir à ses fins – rendre à la nature les espaces dévolus à l’élevage extensif ou/et intensif ?
Dans son ouvrage George Monbiot, journaliste britannique éditorialiste au Guardian lance un plaidoyer argumenté contre l’élevage et surtout l’énorme superficie de terre arable qu’elle consomme. A cet effet, il défend le concept « d’alimentation bactérienne », dont l’avantage serait de diminuer de 98% les surface agricole consacrée à l’élevage.
Autre solution proposée, les céréales pérennes tel que le kernza, dont l’avantage consisterait à réduire significativement labour et usage des pesticides ; l’auteur précise également ses intérêts gustatifs et nutritionnels.
Pour intéressantes qu’elles puissent paraitre, ces pistes restent à l’état de recherche : le rendement du kernza reste encore bien insuffisant, et bien des obstacles se dressent devant les cultures bactériennes. A l’heure où l’Union européenne tente d’accélérer le remplacement de protéines animales par des protéines végétales, on se rend compte de la grande hétérogénéité d’assimilation nutritionnelle de ces protéines par la population ; partir ex-nihilo pour des protéines issues de synthèse bactérienne représente un défi d’une autre dimension…
Ce qui revêt en revanche plus d’intérêt dans son livre réside dans 2 éléments : d’une part l’auteur reprend plusieurs arguments utiles. Le premier exemple relève de la théorie du sol, et de nos erreurs à force d’oublier le sol n’est pas qu’un simple substrat - nombre d’ouvrages dont celui de Marc-André Selosse (lecture de Pierre Trotin cf. le lien) établissent les progrès à accomplir.
Le second lorsqu’il remet en perspective les paradoxes de l’évolution alimentaire : alors que nous n’avons jamais eu accès à autant d’aliments de la planète, nos régimes alimentaires s’uniformisent ; ce qui entraine une uniformisation agricole. Ainsi certaines aberrations technologiques, telle la ferme à 92000 vaches en Arabie Saoudite, pays où les exploitations bovines n’existaient pas voici 40 ans.
D’autre part, George Monbiot nous entraine à la rencontre de plusieurs cultivateurs-expérimentateurs avec résultats probants s’appuyant sur la couverture permanente des sols, l’apport de carbone et la rotation des cultures sans intrants organique ou externe. Certes aucune solution n’est parfaite – en premier lieu la viabilité financière des structures dans un pays où le prix du foncier est exorbitant, mais l’agroécologie en devenir semble une piste autrement plus porteuse que l’alimentation bactérienne.
Tous ces éléments amènent George Monbiot à penser que nos modèles agricoles sont dans l’impasse, et il en vient à souhaiter la fin de l’agriculture. Poursuivre signifierait l’aggravation de la pollution et la diminution de la biodiversité.
Cette formule résonne comme un slogan et plusieurs questions s’imposent. Si certaines dérives ne peuvent être niées, il est nécessaire de reposer la question de ce que nous attendons de l’agriculture.
A quoi doit-elle servir – assurer la subsistance quantitative et la « sécurité alimentaire », ou bien apporter des éléments nutritifs qualitatifs ?
Doit-on rejeter en bloc l’agriculture, puis jouer à l’apprenti sorcier en proposant une voie peu explorée avec les bactéries comme horizon ?
Que retenir de ce livre ?
On ne peut occulter la singularité de l’auteur - bien que ses positions puissent paraitre extrêmes à certains égards – lorsqu’il pose la question non plus de la transition, mais de l’évolution d’un monde agricole essoré, poussant le parallèle de cette nécessité jusqu’à la révolution entre Paléolithique et Néolithique. Pour lui, l’élevage autant intensif qu’extensif épuise les sols et appauvrit les ressources naturelles. Exit également toute forme d’utilisation d’épandages dans l’enrichissement des sols. La volonté véritable de l’auteur semble être de libérer les espaces agricoles pour y faire prospérer une biodiversité mal en point.
La diversité des parcours présentés permet une approche plus complète des techniques ; on se surprend à découvrir les bienfaits plus factices que réels du ‘locavorisme’ (consommation d’aliments cultivés à proximité de chez soi) ou le manque de perspectives des solutions anti-gaspillage. Ainsi nombre de modèles sont concentrés dans 350 pages, ce qui permet d’avoir un inventaire quasi-exhaustif des modes de culture et solutions envisagées.
La question d’un « francocentrisme » développé par l’AIISA suite aux lectures et entretiens avec des intervenants français pouvait être posée; on se rend compte que les mêmes questions de durabilité, de changement de paradigme agricole se posent de l’autre côté de la Manche.
Emmanuel Banon, Avril 2024