Jean-François Ducret 2

ENTRETIEN AVEC... JEAN-FRANCOIS DUCRET

En mai 2023 était paru un entretien de l’AIISA avec Jean-François DUCRET (Promo 1991, ISA 24), Directeur général de VALAGRO France, acteur passionné et passionnant du monde agricole. Deux ans plus tard, suite au rachat de Valagro par Syngenta, on le retrouve en tant que Directeur du département Biostimulant et Traitement de semence chez SYNGENTA France. Et nous avons souhaité poursuivre cette discussion sur l’actualité agricole mondiale et sur l’agriculture française, en proie à de significatives évolutions, mais aussi pour mieux connaitre les valeurs qui animent Jean-François et ses relations avec l’ISA.

 

 

AIISA - En décembre dernier, le Mercosur a été signé entre l’Union Européenne et l’Argentine : quelle est ta lecture de ce dossier ?

J-F D. - Il me semble évident que les échanges commerciaux sont fructueux lorsque chaque partie en ressort gagnante. C’est relativement facile à établir entre des personnes ou des groupes homogènes, mais lorsque ces échanges sont étendus à des entités comme des groupes de pays, cela devient beaucoup plus complexe.

C’est le cas du Mercosur, contrat au sens très large, non seulement commercial mais aussi politique et stratégique. Dans cet accord global, l’agriculture Européenne apparaît comme étant une variable d’ajustement, plutôt perdante dans ce cas ; et à ce titre je partage le rejet de ce type de traité par les agriculteurs.

AIISA - Comment vois-tu les évolutions agricoles française, européenne et mondiale? Voici 2 ans, la crise ukrainienne n’existait pas…

J-F D. - Face à ces évolutions qui s’accélèrent, 2 réalités cohabitent : des transformations qui semblent s’enclencher de façon inéluctable, alors que d’autres vérités sont immuables : on peut se passer de voiture, …mais pas de manger.

Et puis, sur un plan géopolitique, ce qui se passe « à côté de nous » nous fait prendre conscience du concept non négociable de souveraineté alimentaire, voire industrielle : manger à sa faim tous les jours n’est pas négociable, c’est un privilège de nos pays - tous n’ont malheureusement pas cette opportunité... Et nous ne serons pas plus forts que n’importe quel autre peuple si nous sommes soumis à la faim.

Cet exemple illustre bien le « soft power » de la Russie. A présent, le monde politique est face à ses responsabilités : à lui de prendre les bonnes décisions…

 

AIISA - Dans ce contexte de mutations internationales, 50% des agriculteurs français partent en retraite d’ici 2030. Y en a-t-il encore trop ? Serait-ce l’opportunité d’« industrialiser » l’agriculture ?

J-F D. - Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), nous serons 10 milliards d’êtres humains en 2050, ce qui nécessitera 70% de production alimentaire supplémentaire. Dans ces conditions, on ne peut pas se permettre de perdre volontairement dilapider des capacités de production sur une des meilleures terres du monde. Nous pouvons et nous devons faire mieux, sans doute, mais toujours avec une bonne rentabilité pour les agriculteurs Français.

Concernant l’industrialisation de l’agriculture française, la réponse est assez simple : un projet d’exploitation de 1000 vaches est difficilement accepté dans notre pays. Ce n’est donc pas une option chez nous - alors qu’être petit ne signifie pas forcément être vertueux, et grand n’est pas non plus synonyme systématique de nocif... On n’évoque pas non plus des fermes de 15 000 têtes de bétail comme en Amérique du Sud ou de 50 000 porcs en Asie ! Une exploitation qui passe de 70 à 100 hectares n’est pas un scandale productiviste, mais c’est la seule option pour maintenir ou développer un niveau satisfaisant de rentabilité. Néanmoins je ne suis pour autant pas convaincu que laisser la population d’agriculteurs diminuer fortement soit réaliste, ni souhaitable.

AIISA - Produire local, ne serait-ce finalement pas la clé ?

J-F D. - Là encore, il me semble nécessaire de raisonner à l’échelle mondiale et non locale, pour les raisons que j’évoquais plus haut. Pouvons-nous imaginer par exemple le Maroc, qui nous achète du blé, le produire lui-même avec ses difficultés croissantes de température et de ressources hydriques ? C’est d’autant plus important de raisonner à l’échelle mondiale que la situation russo-ukrainienne actuelle nous rappelle que le blé reste un enjeu alimentaire et géopolitique majeur.

AIISA - Des initiatives telles que « C’est qui le patron », pour ne citer que la plus connue, remportent non seulement des succès d’image, mais aussi et surtout, des succès économiques. Restent-elles anecdotiques, ou sont-elles des mouvements qui annoncent l’évolution des relations producteur-consommateur ?

J-F. D. - Ces actions méritent de s’y attarder : au-delà des excellents communicants qui les incarnent, elles ne relèvent pas simplement d’un « coup » médiatique, mais c’est une pratique économique qui persévère en faisant appel à notre conscience. La réussite économique de ce modèle laisse à penser qu’il y a de la place, car d’autres initiatives existent, à l’exemple de belles réussites en circuit court en Alsace. C’est autrement plus bénéfique pour la répartition de valeur et l’impact environnemental que les achats Bio par les GMS, venant de loin pour des raisons de coût, et où ni le producteur ni le consommateur ne s’y retrouvent.

Pour moi, la proximité, le territoire sont les bons indicateurs pour guider nos dans ces actes d’achat alimentaire.

AIISA - Y vois-tu une similitude avec ce qui s’est passé lors du Covid ?

J-F. D. - Pas vraiment : des signaux positifs avaient été envoyés avec la prise de conscience qu’avoir des producteurs, des industries à côté de chez nous, ça simplifiait la vie. Il s’agissait d’un sursaut, mais rien n’a réellement duré ni changé.

AIISA - Que penses-tu de la diversification des activités agricoles ? Est-ce là une piste pour assurer les revenus de nos agriculteurs ?

J-F. D. - Bonne question ! La première des finalités agricoles consiste à nourrir l’humanité : c’est sa raison d’être, et c’est ce qui doit guider un grand nombre de décisions annexes. Je pense donc que diversifier les activités agricoles - comme la méthanisation par exemple - pour atteindre des revenus agricoles satisfaisants est une excellente initiative, à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la production alimentaire.

Tu es nommé Ministre de l’Agriculture… Quelles sont les mesures que tu prends en priorité ?

Je m’attèlerais en premier lieu à la transmission des outils de production, un point qui, à ma connaissance, n’est pas suffisamment traité dans les réflexions et décisions actuelles.

Cette transmission doit se faire au mieux, sous peine d’entraîner une perte de capacités de production. Qui plus est, si la notion de passion pour la terre et la production existe, j’ai le sentiment qu’elle se perd, en raison de l’image négative véhiculée autour de l’agriculture. Ceci finit par entraver, voire décourager définitivement les candidats à l’installation, alors que les Français aiment massivement leurs agriculteurs...

Continuons à rêver : L’Europe s’est construite - entre autres - avec et par l’agriculture ; la PAC était la politique européenne qui fonctionnait le mieux, et qui créait de la valeur. On a vraiment besoin de retourner vers cet esprit, et de retrouver cet ADN agricole commun qui fait de nous une des premières nations mondiales, à condition de ne pas la gérer et la réglementer de façon trop administrative.

N’est-ce pas étonnant de constater que l’agriculture reste « accro aux subventions » ?

Ce qui me tient à cœur, c’est que l’on accorde ces subventions pour que les agriculteurs puissent vivre de leur métier. Je ne trouve pas choquant qu’un secteur économique soit supporté par un Etat ou un groupe d’Etats, si cela relève d’une stratégie solide et étayée pour soutenir des marchés jugés stratégiques. En revanche, distribuer les subventions « à la volée », sans discernement, en fonction de surfaces ou de nombre d’animaux, ne me paraît pas sérieux…ni crédible.

Christian REMESY, ancien Directeur de Recherches à l’INRA (entretien AIISA paru en octobre 2024) propose d’inverser les schémas actuels : Pour lui, l’agriculture a perdu sa fonction nourricière, pour devenir un simple fournisseur de l’agroalimentaire. Sa proposition serait - non plus de produire pour ensuite trouver des débouchés - mais plutôt de partir des besoins nutritionnels humains pour produire suivant ces besoins. Que penses-tu de cette approche ?

C’est tout à fait vrai, il est réducteur de penser pouvoir produire le bon poulet et le bon produit qui vont plaire à tout le monde. Le mythe du bon produit est enterré depuis longtemps !

Selon moi, l’approche agricole nécessite d’être holistique. Ainsi dans notre secteur de la biostimulation par exemple, elle doit répondre aux besoins non seulement de la culture mais aussi à ceux de l’agriculteur. Si l’agriculteur doit travailler sur l’optimisation du sol, il va être sensible au développement racinaire de sa culture. L’agriculteur voisin aura un autre besoin. Ils cultivent donc les mêmes plantes mais, ayant une finalité économique différente, les deux auront raison choisiront 2 itinéraires techniques différents. On ne doit pas s’intéresser au champ de maïs seulement, mais aussi au besoin de l’agriculteur, sachant que lorsqu’on travaille avec des produits d’origine naturelle, la réussite n’est pas automatique.

Quelles sont les valeurs dans lesquelles tu te retrouves ?

Les valeurs de solidarité sont pour moi de vraies valeurs de la chaîne agricole, et pas seulement dans ce domaine : S’isoler est un danger sur le plan agricole, et l’agriculture d’un territoire seul n’a aucune valeur. La solidarité, c’est de comprendre que nous sommes un maillon d’une chaîne

Quel est ton souvenir le plus marquant de tes années étudiantes ?

Bonne question…avec le temps les souvenirs ponctuels s’effacent ! Je suis rentré en 3ème année, et j’ai l’impression que l’intégration a été instantanée, l’alchimie s’est faite toute seule alors que j’ai intégré un groupe qui existait déjà depuis 2 ans. J’ai toujours du mal à me l’expliquer. Petite anecdote : j’ai « postulé » à l’ISA car un ami savoyard s’était lui-même « expatrié » dans le Nord et me l’avait recommandé pour diverses raisons ; j’y suis allé et je n’ai pas regretté !

Et le prof le plus marquant ?

Deux m’ont marqué : un professeur de génétique belge – Frédéric LINTS - qui m’a impressionné, même si - à l’époque - je n’ai pas tout compris à ses cours !.. Il a inspiré une partie de ma carrière en génétique bovine. Cela m’a interpellé de voir cette haute technologie résoudre des problématiques de production agricole.

Un autre - qui n’était pas professeur - c’est Pierre-Marie COURTIN, qui a accompagné des générations d’étudiants ISA. Il m’a marqué par son bagout, son « jeu de scène » mais - au-delà de la forme - c’étaient les valeurs de cet esprit ISA qu’il partageait, les messages qu’il faisait passer avec simplicité et sans côté « donneur de leçons » : il faisait transpirer un certain nombre de nos valeur ! Merci à eux…

 

..Et merci Jean-François!  

 

Avril 2025 - propos recueillis par Emmanuel Banon