Agnès Lutun

Crédit : Agnès Lutun

AGNES LUTUN...
Ou la chicorée de père en fille!

Torrefacteur de racines de père en fille,

Les Lutuns valorisent la chicorée de puis 1934… 90 ans cette année! Entreprise familiale depuis 4 générations, Agnès Lutun (ISA 2009, Promo 42), descendante de Paul, Louis puis Vincent Lutun en est la DG. A l'heure où de nouvelles réglementations menacent la filière, l'AIISA laisse la parole à Agnès afin de vous laisser vous faire votre opinion sur les menaces planant au-dessus de cette filière d'excellence.

 

"Nous sommes une petite filière organisée en circuit court, traditionnelle et ancienne sur les Hauts de France : 200 agriculteurs, 2000 hectares, 2 grosses sécheries, une petite, 2 torréfacteurs - Lutun et Leroux. Ce dernier étant sécheur et torréfacteur, nous travaillons avec Sonode le second sécheur, et achetons toute leur production - incluant également les racines bio.

               

Notre entreprise de 10 personnes « Chicorée du nord » a 90 ans cette année.

 

Nous sommes labellisés Bio depuis 30 ans, Entreprise du Patrimoine Vivant depuis un an, et RSE depuis deux ans.

Nous exportons 70% de notre production sur 16 pays.

 

Nous sentons un regain d’intérêt pour la chicorée qui coche toutes les cases du produit bon pour la santé, bon pour la planète, français, et qui peut provenir d’une PME familiale.

Les commandes repartent, les appels sont quotidiens pour des personnes qui souhaitent créer une marque, en vendre dans leur épicerie, en utiliser dans leur entreprise…

 

Pourquoi un engagement RSE?

Notre engagement RSE n’a rien d’obligatoire ni de volonté marketing. C’est notre conviction de dirigeant, même sur une petite entreprise, que d’orienter notre activité vers plus d’écologie, de social, de sociétal.

 

Quid sur le Bio?

J'ai repris l'entreprise voici 4 ans, avec pour volonté d'avancer vers une agriculture et une consommation plus vertueuse;  l’ensemble des produits créés l’a été en Bio, français, tracé : Chicorée grain Bio, liquide Bio, infusion Bio, capsule Nespresso Bio => prix éco-conception (home compost, végétal, français…)

Notre Chiffre d’affaires est monté à 55% de Bio il y a 2 ans. Nous sommes redescendus à 25% cette année.

 

 

Qu'est-ce qui met en danger la filière chicorée?

L’arrêt du BONALAN (herbicide dont l'utilisation est interdite à partir de mai 2024) pour les produits conventionnels a comme conséquence une réelle difficulté car il n'existe à date pas de solution de substitution avérée. Sans ce produit, les mauvaises herbes prennent le dessus et empêchent le développement de la racine de chicorée.

La chicorée est une tête d’assolement. Les agriculteur sont sentimentalement attachés à cette culture, qui est compliquée à produire, mais rémunératrice. Si la difficulté s’accroit et que les rendements baissent de façon significative, les agriculteurs ne verront plus d’intérêt de planter de la chicorée et s'en détourneront pour d'autres cultures plus faciles - pommes de terre, betteraves, blé... Si nos usines ne sont plus approvisionnées, les sécheurs et les torréfacteurs de chicorée ne survivront pas et c’est la mort de la filière. Les usines ne repartiront pas dans 2 ou 3 ans. 

 

La solution serait-elle vraiment de garder le Bonalan?

Non; nous ne sommes pas pour le maintien du Bonalan, nous souhaitons simplement avoir le temps de réaliser la transition écologique nécessaire pour une consommation plus vertueuse et la survie de nos filières. 

Nos entreprises ne peuvent pas vivre que du travail sur le Bio : le volume n’est pas assez important et il est d'ailleurs en baisse depuis 2 ans. De fait, l'arrêt de l’activité conventionnelle signerait également celui de la chicorée Bio. 

Pas d’interdiction sans solution…et nous sommes dans le cas d’une interdiction sans solution ! Le ministre de l’Agriculture Mr Fesneau a reconnu que nous étions dans une impasse technique, et Mme Pannier-Runacher lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale a convenu que les solutions proposées n’étaient pas matures à ce jour.

Nous sommes favorables à l’abandon du BONALAN, dès qu’une alternative fiable et démontrée existera, c’est l’affaire sans doute de 2 saisons de culture… nous avons une dérogation pour la récolte 2024, il nous en faudrait sans doute une de plus pour la saison 2025. Sans cela, c’est la fermeture de nos entreprises et de la filière chicorée à 18 mois.

Champ de chicorée contaminé par les chénopodes.

 

Le timing est serré, car dès cet été, les agriculteurs vont se positionner sur la répartition de leur plantation pour l’an prochain, puis acheter les semences.

Si en septembre 2024 ils n’ont pas de visibilité, pas d’achat de semence pour la saison 2025, pas de racines, pas de matière première, pas d’activité…

 

La Hollande, la Belgique, la Pologne sont confrontés au même défi. Avec semblerait-il une écoute plus tolérante. A défaut il restera l'importation de chicorée indienne comme solution pour les consommateurs...qui ne s'embarrassera pas de nos exigences européennes!"

Mars 2024