JANVIER 2024 NORD PAS DE CALAIS SOUS LEAU

Les inondations du Nord Pas de Calais de ce début d'année 2024 interpellent les ISA. Appel. 

Les récentes inondations du Nord-Pas-de-Calais ne peuvent laisser indifférent les Ingénieurs en Agriculture. Si les habitants ont indéniablement subi des dégâts tant physiques que psychologiques, ceux qu'ont subi certains agriculteurs apparaissent peu dans l’information. Pourtant, ces mêmes cultivateurs sont frappés durement, nombre ne pourront pas pénétrer dans les champs avant quelques mois, tant ces derniers sont devenus impraticables aux engins. En outre, comment ne pas songer aux animaux de rente, restés probablement pour certains de bien trop longues périodes les pattes submergées ? Si les frais vétérinaires risquent d'exploser, rien ne viendra mettre un terme aux chutes de moral consécutives non plus, sans compter la souffrance animale …

Finalement, l'eau n'aura pas encore reculé que les vagues de gel auront fini de saper le moral des habitants et des agriculteurs concernés.

Y a-t-il eu une solidarité qui aurait joué dans l'ombre ? Nous l'ignorons.

 

Allons-nous rester les bras croisés devant ces inondations récurrentes ? Que pourrions-nous faire, nous autres Ingénieurs Agricoles ?

 

En 2003 les « Cahiers de Géographie » publiaient une étude fort intéressante, au titre évocateur :

« Les inondations en Nord-Pas-de-Calais, essai de synthèse régionale ». Les auteurs sont Richard Laganier, Claude Kergomard et Monique Dacharry.  Lorsqu'il en prend connaissance, la surprise frappe le lecteur de plein fouet.  En réalité, chaque habitant de cette région sait que le problème n'est pas nouveau. Mais, premier constat, les moyens mis en œuvre pour récolter les datas sur le terrain nous paraissent bien maigres.

Il y a pourtant une approche qui reste convaincante dans ce rapport : elle consiste à évaluer les enjeux et les aléas liés au risque climatique, la distinction y est clairement établie. Les premiers concernent différentes catégories, comme les terres arables, les espaces industriels, les espaces urbanisés, les espaces boisés, et les zones humides. Quant aux aléas, leur échelle va de « faible » à « très fort ». Évidemment, chaque région concernée par les inondations est cartographiée et estimée à l'aune de ces deux axes. Ainsi, par exemple, lorsque l'aléa est très fort, les enjeux sont d'autant moins importants. On remarque, par exemple, que du côté de la Canche, où l'aléa est élevé, la présence réduite d’espaces industriels. C’est le bon sens qui est en pleine expression ici : finalement, c'en est presque rassurant…

 

Quatre types d'inondations sont identifiés. Ainsi, les inondations par débordement de cours d'eau, celles liées à des précipitations orageuses de forte intensité en milieu urbain, celles liées à des précipitations longues facilitant la montée des nappes souterraines puis de surface, et les inondations marines, moins fréquentes, même si elles ont déjà été constatées dans le Nord.

 

Toutefois, les auteurs admettent que l'estimation de l'aléa est rendue difficile par un manque appréciable de données terrain. En l'occurrence, des informations hygrométriques manquent à l’appel, les relations entre les nappes et le fonctionnement hydrologique est d'une complexité redoutable, ce à quoi il faudrait ajouter une anthropisation inextricable, (canaux, réseaux de drainage, affaissements miniers, fortes urbanisations), autant de données qui n'ont pas été incluses dans l'estimation de cet aléa ! Là, c'est la surprise qui l'emporte ! Sans vouloir faire du mauvais esprit, on a du mal à comprendre comment les décisions qui procèdent de données aussi incomplètes peuvent être efficaces ? Quoi qu'il en soit, d'aucun répondra qu'il vaut mieux faire quelque chose que rien…

 

Différentes politiques ont néanmoins été imaginées, débouchant sur les actuels « Schémas d'Aménagement et de Gestion des Eaux », les SAGE, que l'on trouve facilement sur Internet. On ne peut donc nier une certaine volonté de régler des problèmes, mais alors, c'est là qu'une autre complexité intervient, à proprement parler impossible à modéliser :  celle du facteur humain !

 

Et le rapport d'insister sur les différents intérêts entre les communautés parfois à cheval sur le même bassin, le millefeuille administratif y est suggéré à demi-mot, les carrières politiques des élus, les rapports compliqués entre les autorités locales et les autorités nationales, des pouvoirs économiques bien sûr, etc. etc. En somme, à la complexité naturelle déjà inextricable, se surajoute le facteur humain, une autre complexité, composée d'intérêts particuliers, souvent court-termistes, qui ne se privent pas d'entretenir paradoxe sur paradoxe.

 

Bref, à la lecture de ce rapport, je me suis fait deux réflexions, pour tenter de faire face a ces problèmes récurrents : la réflexion technique, et l’exigence de solidarité…. En outre, il me semble que les ingénieurs en agriculture en général, et ceux de l'ISA en particulier, pourraient s'emparer au moins de la première. Du reste, je ne doute pas que certains de nos anciens sont peut-être en poste et connaissent infiniment mieux que moi le problème. Je ferai donc preuve de prudence mesurée dans mon propos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La réflexion technique tout d'abord ; si l'article cité date de 2003, à n'en pas douter, nous avons désormais les moyens techniques de bien mieux surveiller et enregistrer toutes les données nécessaires à élaborer un modèle plus fiable. Il y a déjà un existant topologique remarquable à disposition, et une mise en service « d'intelligence artificielle », prise comme le moyen d'améliorer notre rapport avec notre environnement, par exemple en modélisant nos petites régions et leurs réactions face aux aléas climatiques. Les moyens actuels permettraient sans aucun doute d'affiner les modèles en les complétant des datas manquants signalés plus haut, et ainsi atteindre une précision inégalée jusqu'alors. L'estimation des enjeux et des aléas en tirerait bénéfice : nul doute que les ingénieurs en agriculture pourraient tout à fait développer une expertise dans ce sens. Le propos paraît tellement évident qu'à la rédaction de cet article, je ne peux imaginer que de pareils travaux ne soient pas déjà en cours.

 

Quoi qu'il en soit, une simple recherche sur l'Internet démontre qu'il est tout à fait possible, à titre consultatif, d'utiliser certaines intelligences artificielles comme "Chat GPT" par exemple, pour peaufiner un modèle imaginé ! Il ne nous remplace pas, mais peut aider. Des softwares libres d'accès, comme HYDROBLOG (https://hydro-blog.com/download/epanet-2-0-fr/) permettent de faire des premières estimations. La prudence incline à reconnaitre que, s'agissant des logiciels libres d'exploitation, je n'en connais ni la portée ni les détails. Il s'agit simplement ici de démontrer que nous avons les moyens, même quasiment gratuits, d'entamer la réflexion : nous avons déjà à notre portée des outils qui permettraient aux plus audacieux de jeter les bases d'une réflexion plus constructive et plus large.

 

Mon second angle concernera la solidarité : il serait tout à fait possible d'optimiser notre propre réseau, notamment à l'endroit de celles et ceux qui seraient dans le besoin suite à la frappe climatique.  Ici, nul besoin d’intelligence artificielle, mais plutôt une intelligence de cœur, humaine, qui serait destinée à faire circuler les informations et à mettre en rapport les uns avec les autres. De prime abord, il me semble que c'est le rôle des coopératives, des groupes techniques ou syndicaux à l'endroit des exploitants : à tout le moins cela pourrait être une de leurs fonctions. Plus il y aura de solidarités, au mieux nous trouverons notre raison d'être, et à cet effet je suggère la mise en place de réseaux agissants d'anciens de notre école.

 

S'agissant de l'autre versant de la solidarité, je veux dire politique, les choses sont assez différentes. En effet, si par le terme de politique on entend « l'organisation scientifique de la cité », il faut noter qu'aucune science politique n'existe qui nous permettrait d'être d’emblée tous d'accord les uns et les autres. Notre beau pays souffre de ses carences d'intérêt universel, ce qui est l’une de ses faiblesses. Cependant il me semble que, lorsqu'une population se heurte à un problème général et d’ampleur, elle doit se donner les moyens de trouver des solutions communes et durables, autrement que par compromis et conflit d'intérêts particuliers. Elle doit être associée aux conditions de son devenir.                                                                               Nous autres ingénieurs en agriculture, nous pouvons être d'une aide sur le volet rationnel, sur l'entendement, c'est-à-dire par nos sciences acquises.

Quant au volet politique, il s'agit d'une concertation qui déborde la science mais pas forcément « l’ingénieur agricole écosophe ».

 

D'autres peuples sont parvenus à faire face à des problèmes bien plus graves : je songe au cas des Pays-Bas, où 1800 personnes ont perdu la vie lors du raz de marée de 1953. Devant un événement d’une telle portée, la conscience collective s'est éveillée, et a finalement décidé de prendre le problème à bras-le-corps.

 

 Il nous faut donc faire preuve d’intelligence collective, et souhaiter que celle-ci se mette en marche avant qu'une nouvelle catastrophe majeure ne survienne. Revoir la destination des sols, repenser notre rapport avec nos petite et grande régions me paraît tout à fait envisageable. Nombre de victimes des récentes inondations semblaient prêtes à laisser l'État racheter leur maison, ce qui me paraît là aussi juste, puis s'installer ailleurs, et laisser à d'autres le soin de ces terrains libérés, redevenus agricoles ou à vocation environnementale. En Bretagne, des groupes de citoyens, et même des ONG, travaillent de concert avec le monde agricole. Tout ce monde finit par trouver un chemin collectif, et c'est presque ce que nous conseillerions en conclusion de cet article.

 

 

Modestement, dans l’immédiat, notre association pourrait déjà récolter des témoignages auprès des victimes, ce qui permettrait de jeter les bases d’une action future… Il n'est pas illusoire d'envisager que l'ingénieur puisse jouer ici un rôle plus politique, plus humain et plus social, qui n'aurait rien à voir avec une vaine tentative d'imposer un point de vue plutôt qu'un autre. Et s’il fallait le répéter, nous voyons bien que les problèmes environnementaux concrets ne peuvent se résoudre en faisant l'économie d'une écologie des esprits.

Telle est la conviction des ingénieurs en agriculture que nous sommes : « PENSER COMPTE…»

 

Merci de votre attention.

 

Pierre TROTIN