La rentrée!

REFLEXIONS POUR UNE BONNE RENTREE

Le 23/08/2023, Pierre Trotin

 

La page estivale se tourne, nous voici à nouveau rassemblés pour une nouvelle année scolaire.

 

Que fut cet été ? 

0our nous, l’occasion de lire, et méditer un peu sur nos disciplines fondamentales. À nouveau oserais-je dire… Après tout ne sommes-nous pas un peu biologistes ? Combien d’entre nous se sont investis dans les carrières agri ou agro, d’abord captivés dès leur plus jeune âge par les questions relatives à la vie tout simplement ? Mais voilà, les responsabilités sociales, familiales, économiques finissent pourtant par émousser le tranchant de ces questions existentielles, à la manière des galets polis par les forces du courant social. Finalement nous adoptons tous et toutes la même forme, nous prenons les mêmes postures, nous répondons aux mêmes urgences, remplissons les mêmes feuilles d’impôt, votons quand il le faut, fêtons les mêmes fêtes, affrontons les mêmes bouchons le matin, cherchons du boulot quand nous n’en avons plus etc. Il n’en reste pas moins vrai, que d’un « galet » à l’autre, l’intérieur n’est pas tout à fait le même dans sa composition. Arrive fatalement le moment où pourtant celle-ci se rappelle à l’ordre. En effet, l’onde sonore par exemple, ne se propage pas dans les noyaux de manière strictement identique…

 

Parmi les lectures de cet été, je retiendrai les dernières lignes d’ Evelyn Fox Keller, philosophe des sciences, qui en 2000 terminait son magnifique ouvrage « Le siècle du gène »  – paru en 2003 aux éditions Gallimard – sur ces mots : « Quand je suis le plus optimiste, j’imagine même la possibilité que des concepts nouveaux ouvrent la voie vers des domaines innovants ou les scientifiques et les profanes pourraient réfléchir ensemble et agir de concert en vue d’élaborer une politique qui soit réaliste, à la fois politiquement et scientifiquement. »

 

N’y a-t-il pas un magnifique programme pour notre association ?

 

Par exemple, s’agissant de la nouveauté des concepts qu’elle évoque, il faut comprendre dans son cas toute une réflexion autour de la notion de gène. Nous autres, ingénieurs agronomes, sommes familiarisés avec cette notion. Pour autant, celle que les plus anciens ont apprise n’a plus rien à voir avec les découvertes du début du siècle. Les vieux dogmes –encore enseignés !! – ont été balayés, emportés par les découvertes nouvelles, et, me concernant, la surprise fut totale lorsque je découvris que certains philosophes français du début du XXe siècle – autre lecture estivale – avait eu le pressentiment de ce qui était en train de se tramer. Aller plus loin supposerait entrer dans des détails techniques particulièrement complexes, et ce n’est pas le lieu ici. Et pourtant, de quoi je me prive en passant sous silence ces lectures magnifiques. J’envisage d’en faire un atelier de réflexion, je reviendrai sur ce point.

 

La confrontation des écrits, puisque nous n’avons pas de laboratoire, la confrontation des idées, puisque nous avons des amis, autant de choses qui rendent légitime la vie d’un groupe comme le nôtre et son implication sur divers horizons. Ainsi pour ma part, ancien ingénieur reconverti à la philosophie, je n’oublie pas mes premiers amours… Je dirais même que si je suis passé à la philosophie, après presque de trois décennies d’expérience en agro-industrie, c’est parce que j’estimais qu’il était temps de remettre sur le métier (presque au sens propre...) l’ouvrage abandonné. Bien sûr, passer un certain temps dans la vie, les questions qui deviennent prioritaires n’ont plus rien à voir avec celles des grandes corporations qui jadis ont pourvu au pain quotidien, force sacrifices personnels… Mais quand deux mondes deviennent à ce point étrangers l’un l’autre, il faut savoir divorcer. C’est ce que j’ai fait, décidant désormais de me consacrer à la raison, force expérience et connaissances, et pourquoi pas sinon de partager le fruit, de tenter d’éveiller à celle-ci !

 

D’autres indices devraient, me semble-t-il, attirer l’attention de ceux qui un jour ont décidé de se passionner pour les questions relatives à ce que nous appelons trop vite : « la nature ». En effet quand 11 millions d’hectares partent en fumée au Canada, et que l’information ne fait pas plus de bruit que cela, nous sommes tout à fait en droit de nous poser des questions. Quand les records de chaleur sont battus les uns derrière les autres un peu partout sur la planète, les questions sont tout aussi légitimes. Quand la guerre mondiale menace aux frontières, quand la crise économique affleure, comment envisager quelque chose d’aussi trivial qu’une « transition » ? Car ce terme circule partout, ad nauseam.

S’agissant de transition – qu’elle soit énergétique, écologique, verte, politique, morale, etc... – selon toute vraisemblance, il n’y a là qu’un mot destiné à déguiser une opinion, à peine réfléchie, qui ignore cependant quoi faire, que ce soit dans l’éducation comme dans la politique, Finalement elle ne consiste qu’à trouver la continuité et le prolongement de ce qui était déjà cuisiné la veille, et qui pourtant n’a jamais que fort déçu. Ainsi rien de nouveau n’est à espérer d’une transition, sinon de mettre pansement sur une jambe de bois.

En réalité, ce terme de transition est tout à fait impropre à ce dont nous avons besoin, il est même une erreur grave, il atteste d’une énième précipitation dans des pseudo décisions, nullement inspirées par la vraie raison.

 

D’un autre côté, vouloir dénoncer notre passé, le renier, c’est effectuer une pleine plongée dans les eaux profondes de l’utopie. Nous pouvons être déçus par un système et ses acteurs, certes, mais pareille déception ne fait qu’alimenter le moteur des pires régimes politiques. Nombre d’entre nous sont socialement suffisamment déçus et désemparés pour tomber dans ces travers et cela n’a rien de réjouissant.

 

Que nous reste-t-il alors ?

Au lieu de transition, j’aurais plutôt parlé d’évolution si ce n’était de révolution, et laissé la transition de côté.

Evolution ou révolution ? Nous n’avons pas non plus évoqué la révolte. Celle-ci, est un fait local, particulier, violent et surtout imprévisible dans l’histoire. Quant à la révolution, elle s’applique à toutes et à tous de manière universelle, elle partage avec la révolte le côté imprévisible.

Ainsi, s’il ne nous est pas donné la capacité d’appréhender la totalité de la dynamique du monde, la révolution procède d’un fond dont il est bien plus difficile d’en figurer les contours, mais elle progresse de manière inexorable et universelle lorsqu’elle se produit. Elle puise son énergie et son origine dans un fonds qui dépasse le vieux clivage le sujet / objet.  Elle n’a guère besoin de la violence pour se mettre en place, elle se fait naturellement oserai-je dire, d’elle-même. Le reste n’est qu’affaire d’entendement, de réglage, de particularité en quelque sorte. Mais croire que l’entendement la commandent, c’est commettre une seconde grave erreur, c’est être aveugle à la réalité humaine et pire que tout, vouloir réduire les choses à de simples fonctions. Bref ça ne marche pas.

 

Ces considérations dernières viendront de la lecture de Karl Jasper et son admirable livre publié en 1963 en France, « La bombe atomique et l’avenir de l’humanité », d’où viendra l’éclairement de cet été. Pour ma notre part, cette lecture était édifiante. En effet, on pourrait presque remplacer la formule de « la bombe atomique » – menace que l’on pensait derrière nous, mais remise au goût du jour par l’actualité venue de l’Est– par « le réchauffement climatique ». Les réflexions d’hier à propos d’une menace globale, n’ont rien perdu de leur actualité de leur pertinence, à la lumière d’un réchauffement climatique tout aussi global…

La solution de Karl Jasper ? Elle n’en est pas une… L’occasion de répéter et développer ce qui vient d’être dit...  Jaspers aspire à ce que chacun et chacune fasse dans le cours de son existence particulière, la différence entre la raison et l’entendement. Celui-ci est affaire de lois, de règles, nous l’avons dit, de détermination en somme, et je dirais même de nécessité. Celle-là est donc affaire de pensée éclairante, de liberté fondamentale. L’entendement, c’est ce qui est utilisé par les sciences. Présenté de la sorte, l’entendement s’occuperait d’un monde réglé sur la nécessité matérielle, et par voie de conséquence sur l’absence de liberté…

Il suffirait alors de connaître toutes les règles et les conditions du monde, pour que celui-ci repose dans le creux de la main des décideurs. Or, il est impossible à l’homme de connaître une telle totalité. Ainsi, nul n’est capable de dire ce qu’il adviendra du réchauffement climatique et de ses conséquences. Nul n’est capable d’affirmer si que nous adopterons une autre position, collective, par laquelle nous sortirons de l’ornière. Le hasard se mêle à l’histoire, la contingence également.

Nos sciences seraient-elles incomplètes devant la complexité du monde ? Ce que je constate bien modestement avec Jaspers, c’est que même plongés dans la finitude, nous avons à notre disposition l’autre alternative, celle de la raison. La raison est le siège de la liberté. Si le monde répond à des déterminations que d’aucuns voudraient réduire à l’utilité, il me semble que dans ses décisions, chacune et chacun a la liberté de recourir à cette origine ou il/elle a décidé d’être ce qu’il/elle est, parmi toutes les possibilités qui lui étaient données. Cette raison, autrement dit cette pensée philosophique, à laquelle j’en appelle au même titre que Jaspers, me semble remplir ce rôle de « raison d’être », comme on dit aujourd’hui, pour notre association. Un espace de liberté, un espace où renouer avec la raison, celle-ci se nourrissant de l’entendement, et l’enrichissant à son tour. Idéaliste ? Il serait malheureux de le croire… difficile ? À l’évidence !

 

Ainsi, reprenant les mots de EKM, il me semble que c’est plutôt un changement de paradigme dans nous aurions besoin, à ceci près que celui-ci est tout à fait imprédictible dans son avènement. Prétendre le contraire serait se présenter comme prophète, or il n’en existe plus de nos jours. Pour notre part, nous pensons et nous croyons fermement que la réflexion doit se poursuivre, dût-elle se dérouler sur des îlots, reposant sur la bonne volonté de quelques-uns et de quelques-unes, et c’est ce que je retrouve dans notre équipe. Je pense donc que la conversion à laquelle aspire Japsers, est une proposition louable à notre monde.

 

Mais proposition n’est pas solution, car il n’y a pas de remède miracle aux maux de notre monde, il n’y a pas de recette. Une recette est un procédé, destiné à satisfaire le goût, c’est-à-dire la particularité sensorielle de l’un ou de l’autre, mais certainement pas de tout le monde.

 

Ce à quoi nous en appelons, c’est de l’universalité ; celle-ci existe déjà, elle se pose sur une toile de fond relative à la raison, tel que je tentais de l’expliquer tout à l’heure, à savoir notre liberté. Tout projet déterminé qui consisterait à établir une recette serait contradictoire avec notre action.

 

Je le répète, mon souhait dans le cadre de cette association, et de constituer un espace de liberté fondamentale, respectueuse, ou chacune et chacun pourrait cultiver ce qu’il y a de plus humain en elle ou lui-même. Se « convertir à la raison », c’est puiser dans la liberté de la pensée philosophique les sources génétiques, morales aussi, peut-être d’une société nouvelle, mais c’est également imaginer collectivement, une société qui serait à même de répondre aux enjeux actuels.

Voici un bon programme, qui ne remet pas en cause l’entendement nécessaire du monde, mais qui entend guider cet entendement par autre chose que du profit, de l’utilité, du copinage etc.

 

Peu de temps avant les vacances estivales, un groupe de psychiatres et de psychologues m’ont proposé de participer à des réunions ou manifestement l’espoir demeure fort de convoquer la raison dont je parlais précédemment. En comité réduit, en « îlot », voici une occasion formidable qui m’est donnée d’évoquer tous les corollaires de ces lectures estivales. En l’occurrence, le philosophe français dont je parlais tout à l’heure, ayant décidé d’accepter ce que l’entendement des sciences avait offert en termes de découvertes révolutionnaires les deux siècles précédents, se proposait d’en déduire tous les corollaires possibles, avec une franchise intellectuelle à laquelle il n’a rien concédé. Probablement en avance sur son temps, reconnu par l’élite nationale, ce qui pour moi est un gage de qualité, il y a là un philosophe inconnu du grand public que je présenterai devant ce groupe, et dont j’espère que les échanges ouvriront de nouveaux espaces à l’entendement. Nos disciplines sont concernées premier degré, mais l’interdisciplinarité pourrait bien être de mise également.

 

A bientôt!